Le Centre Jean Giono a élu domicile dans une bâtisse splendide, en face de la porte Saunerie, la célébrité manosquine du 12e siècle. Il n'est malheureusement pas possible de prendre des photos à l'intérieur du bâtiment. Nous nous sommes donc rassasiés du jardin, de ce rosier jaune qui illumine le bleu du ciel (à moins que ce ne soit l'inverse) et de l'or pâle des façades. Prévert (comme Pierre Perret) voulait faire disparaitre les barreaux des cages... Le centre Giono a imaginé d'y enfermer les écoliers ;-) Il est vrai que dans quelques semaines, la "cage" sera toute fleurs et feuilles mêlées, et qu'il fera bon y prendre un peu le frais.
Nous avons profité des derniers jours de l'exposition "Un pays de caractères", dans une scénographie très intéressante, dont l'affiche ne vous donne malheureusement qu'un très bref aperçu. A moi, on a interdit l'usage de l'appareil photo... Mais ce ne fut pas le cas de tout le monde : vous pourrez voir,
chez Sabine et Pierre Paul, quelques photos des personnages et décors proposés (message daté du 20 mars).
Travail passionnant que celui de la scénographe Françoise Gabella, sur un thème difficile puisqu'il tourne autour des "caractéristiques" physiques ou comportementales peu conventionnelles voire outrancières. Ces personnages, présents dans deux ouvrages de Giono, "Ennemonde" et "Coeurs, passions, caractères" sont en communion avec les paysages qui les entourent, tout aussi peu ordinaires, et cela est parfaitement mis en scène et en sons. On peut tout à loisir s'installer et écouter les extraits de textes (belle voix de Maurice Petit), le vent, les silences, en se plongeant dans les décors ... Très impressionnant. Tout cela est tellement bien fait, qu'on en voudrait encore, d'autres "caractères", d'autres textes, d'autres scènes.
L'exposition est itinérante, et si vous habitez la région, peut-être aurez-vous la chance de la voir dans la médiathèque de votre ville...Sinon, sollicitez vos élus, Giono et les Caractères le valent bien !
La prochaine exposition du Centre Giono sera inaugurée d'ici quelques jours. Et son thème, j'en suis sûre, retiendra l'attention de beaucoup d'entre vous, puisqu'il s'agira de "Jean Giono, un écrivain à Venise" ! Cette exposition fera le lien avec les prochaines "Correspondances de Manosque" qui ont lieu traditionnellement en septembre. Je pense que cette année, je me laisserai tenter par Manosque en automne...
Ennemonde et autres caractères (suite)
On peut s'étonner que ces paysans n'aient pas plus souvent en main les mancherons de la charrue; c'est que ces paysans sont des pasteurs. C'est aussi ce qui les tient en dehors (et au-dessus) des progrès mécaniques. On n'a pas encore inventé la machine à garder les moutons. C'est le père, le patron, qui dirige le troupeau, le fils ou les fils mènent la petite organisation agricole qui fonctionne d'ailleurs en économie fermée. On ne cultive que la terre nécessaire au froment, à l'orge, à la pomme de terre et aux légumes indispensables à la vie de la famille ou de l'individu, et c'est pourquoi tant de ces paysans restent célibataires et vivent seuls : ils ont ainsi besoin de si peu qu'à peine s'ils grattent la terre un mois par an.
A l'usage de ces célibataires fort sanguins existait encore, il n'y a pas trente ans, un paradis de Mahomet. C'était une maison dans un ubac, le plus sinistre qui soit, qui ne voyait jamais le soleil même au gros de l'été. Y habitait une veuve; elle avait à l'époque ses bons soixante ans. Quand un célibataire allait lui rendre visite, elle mettait à sa porte un drapeau, un drapeau comme vous et moi, tricolore, bleu, blanc, rouge, le plus officiel des drapeaux. Il venait d'ailleurs de la mairie de Saint-C., où il avait été prélevé sur la provision du 14 juillet. La visite terminée, la veuve rentrait le drapeau. C'était connu. Il n'y eu jamais d'histoire. Jusqu'au jour où l'on voulu moderniser ce mécanisme. Une jeune femme d'Avignon, sans doute habile dans cette partie et, ma foi, coquette, se dit qu'elle augmenterait le rendement en allant porter la marchandise à domicile. Elle fut célèbre un été, puis elle disparut sans laisser de traces. Le bruit courut tout de suite qu'on l'avait vu à la foire de Laragne. Mais Laragne, c'est loin. Elle avait un ami qui vint s'enquérir de droite et de gauche. Il n'était pas sympathique, on le lanterna. Il essaya de se fâcher, mais c'était difficile. Il eut certainement une pique d'amour-propre car, et ça ne se fait pas, il alla raconter son histoire à la gendarmerie de Sault. Enquête au cours de laquelle la présence de la jeune femme à la foire de Laragne et même à celle de Gap fut confirmée par plus de cinquante témoins d'une bonne foi évidente et qui, non moins évidemment, n'auraient pas inventé la poudre. Trois ou quatre ans seulement après on trouva des «trucs» dans lesquels les renards avaient longtemps farfouillé. Mais dans ces hauteurs, ce ne sont pas les «trucs» qui manquent. La veuve n'a fermé boutique qu'à plus de quatre-vingts ans. Elle n'avait d'ailleurs gagné que le drapeau, qui lui est resté, qu'on a, je crois, mis sur sa bière lors de son enterrement et qu'on a planté sur sa tombe où les vents et les pluies l'ont finalement mis en lambeaux, mais je l'ai encore vu.
Les femmes ici n'ont pas de forme; ce sont des paquets d'étoffes médiocres. Ce n'est pas faute de vouloir paraître, au contraire, à ce sujet elles s'efforceraient plutôt de surenchérir, mais les marchands forains vendent plus de snobisme paysan que de bonnes marchandises. Elles ne vont plus à l'étoffe à pois, ou au noir de jais sibeau sur les aïeules, elles veulent du dessin moderne. On leur en flanque. Ça leur va comme un tablier à un cochon, et des couleurs à faire hurler un architecte (ce qui n'est pas peu dire), mais il faut bien faire savoir qu'on a des sous. Si bien que, si on en voit une vêtue avec goût, et qui parmi toutes ces dondons fait princesse, il y a gros à parier qu'elle est pauvre et qu'elle a honte. Quelquefois les très vieilles font sensations. Passé l'âge d'être engrossées, elles retrouvent un deuxième corps; même celles qui restent amples se modèlent, mais les maigres prennent vraiment de la noblesse. C'est aussi le moment où elles n'ont plus guère d'argent, elles retournent aux cretonnes anciennes. Il y a aussi dans chaque famille une belle chose (et qu'on déteste).Les jeunes filles, tant qu'elles sont vierges, ont une beauté de fruit, puis cette beauté éclate et on la voit en éclat dans les enfants. Il ne reste vraiment rien de leur premier état : certaines Vénus deviennent des monstres effrayants, elles ont presque toutes des bouches du XVIIe siècle, édentées ou pire encore, avec quelques grandes dents déchaussées qu'elles sucent. C'est assez abominable. Mais il ne faut pas prendre leur air niais pour argent comptant. Ce sont presque toujours de maîtresses femmes. Au pied du mur elles font merveille. On se souvient encore d'Ennemonde Girard.
Ces personnages me font penser à des poupées en papier rencontrées dans un musée en Corée, la même expression dans leurs visages ronds.
RépondreSupprimerBon week-end.
Déjà à lire, le texte que tu nous présentes, est savoureux ; j'imagine, qu'à l'entendre, c'est une merveille, ça "sonne" !!!
RépondreSupprimerJe me suis régalée, merci Odile.
Bises et bon WE
Woah ce bleu ! et ce jaune ! enfin, quelle palette ! Très belle composition Odile :) Bisou
RépondreSupprimerUn magnifique rosier de Banks pour illustrer ce joli parcours.
RépondreSupprimerle ciel bleu, on l'a perdu en ce moment...
Bonjour Giono le féministe !
RépondreSupprimerCette phrase-là est particulièrement savoureuse :
"Les femmes ici n'ont pas de forme; ce sont des paquets d'étoffes médiocres".
Bonne semaine, Odile !
Bonjour Evelyne, Je ne sais pas exactement quel est le matériau et surtout la technique utilisée ici. Vu de près, on dirait du tissu sur carcasse métallique, puis du plâtre, mais j'avoue que je n'en sais pas plus. Le résultat est saisissant, en tout cas. Merci de votre passage.
RépondreSupprimerJe suis ravie qu'il te plaise, Annick. C'est vrai que certains textes, devant le décor d'une campagne sauvage, aride, avec la tempête en fond sonore, étaient très impressionnants. On avait envie de regarder par dessus notre épaule s'il n'y avait pas quelques malfaisants... Mais pas d'autres visiteurs que nous :-) !
Tu vois Chic que je n'aime pas seulement les bleus :-)) En photo le bleu du ciel est quand même nettement plus flatteur que le gris-blanc ! Merci à toi.
Eh bien Martine, je vois que tu t'y connais aussi en rosiers. J'aurais été bien incapable de le nommer. Oui, comme je le disais chez Norma, nous sommes partis juste avant l'arrivée du ciel gris ; un coup de chance, il arrive très souvent qu'au printemps, nos vacances se passent pendant la seule semaine de pluie :-)) C'est devenu une tradition familiale que de me le rappeler !
RépondreSupprimerIl n'est pas féministe, Norma, il est seulement réaliste :-)
Il se trouve qu'au cours de mon bref passage à Manosque j'ai rencontré quelqu'un qui correspondait presque exactement à la description qu'en fait Giono.
Je te recommande ce passage aussi : "elles ont presque toutes des bouches du XVIIe siècle, édentées ou pire encore, avec quelques grandes dents déchaussées qu'elles sucent." :-)
Mais je te rassure, nous savons bien que toutes les femmes provençales ne ressemblent pas aux portraits de Giono :-)))
Dans le livre de Pierre Magnan que Lily m'a donné envie de relire, il y a aussi de très beaux portraits. J'en donnerai quelques extraits.
Je souhaite la bienvenue à "Une femme qui écrit", à Evelyne, qui se sont inscrites et à quelqu'un d'autre il me semble, mais je n'arrive pas à trouver qui ;-) !
Bonne semaine à vous.
Et comment ! :)) en ce moment, mon appareil et moi on se fait presque ceinture...on est au blanc....sec ;-)))
RépondreSupprimerRosier jaune sur ciel bleu, et la poésie de Giono... que j'aime tant malgré mon féminisme bien présent : voilà de quoi redonner de l'éclat au paysage que j'aperçois de ma fenêtre !
RépondreSupprimerA bientôt Odile
Du bleu,toujours du bleu,un magnifique rosier en harmonie avec les façades des maisons
RépondreSupprimerTiens tu me donnes une idée je vais proposer cette exposition lors de notre prochaine réunion
Cela fera du bien de faire venir un peu de soleil dans notre commune
Norma la phrase concernant les jeunes filles vierges n'est pas mal non plus!!