jeudi 18 décembre 2025

Un nouveau jour se lève, un jour sans Maman.





 

Pour l’état civil, elle était Gilberte Renée VILLETET, née le 15 avril 1932 à Troyes.  Puis elle s’est appelée successivement, Gilberte, la Môme, Gigi, Maman, Mamie Gigi.
Les grandes étapes de sa route furent l’Hôtel-Dieu de Troyes, l’orphelinat Saint-Martin-es-Aires, Paris Ménilmontant, Paris rue de la Saïda, Gréoux-les-bains, Manosque, et enfin Beaune.

Tous ces noms, tous ces lieux, pour une vie longue de 93 années.  Maman  s’étonnait de ce chiffre incroyable qui faisait d’elle la dernière représentante de sa génération. Elle était la petite dernière d’une fratrie de 4 enfants qui sont restés liés toute leur vie. Elle a à peine connu sa mère, atteinte de la redoutable tuberculose de ce début de siècle qui n’avait pas encore appris à la guérir. Elle avait le souvenir d’une dame très vieille, au nez crochu, qu’elle voyait un peu comme une sorcière. Elle a longtemps cru que c’était sa mère, alors que bien sûr c’était sa nourrice… Vers 3 ans, on considéra qu’elle était assez grande pour rejoindre sa grande sœur Sylviane à l’Orphelinat Saint-Martin-es-Aires.  Les deux filles furent très protégées dans cet orphelinat, ce qui ne fut pas le cas de leurs frères Bernard et Georges, à 200 mètres de là, à l’Orphelinat Audiffred. Mais Gilberte et Sylviane eurent la chance de devenir les petites protégées de Mme Heyman, la directrice, sensible au sort de ces deux petites filles, que leur papa cheminot ne venait voir qu’une fois par an. C’est ainsi qu’elles vécurent plutôt paisiblement et surtout sans graves restrictions la période de la guerre et de l’occupation.

Au sortir de l’enfance, elles firent l’une comme l’autre quelques études de couture. Elles allèrent donc à Paris,  au 119 c’est-à-dire 119 rue de Ménilmontant, dont j’ai découvert que c’est encore aujourd’hui l’adresse de la Protection de l’Enfance… De retour à Troyes, la jeune adolescente détesta cette ville qu’elle trouvait bien trop terne, elle rêvait de partir en Suisse, de préférence avec l’un de ces soldats américains qui venaient de libérer le pays… Hélas cela ne se fit pas… Elle épousa le beau-frère de son frère, un brave gars tout simple de la campagne, qui rêvait d’une vie toute simple à côté d’une fille toute simple c’est-à-dire à peu près l’inverse de ce qu’était Maman et de ce dont elle rêvait.
La vie parisienne les broya assez rapidement : cinq enfants (« mes 5 gosses » disaient-ils l’un et l’autre), une loge de concierge, puis un appartement sans confort, l’usine pour ce fils de paysan bourguignon. La maladie de l’un, les impatiences de l’autre…
C’est peu dire que sa vie fut un combat. Et comme elle avait la force des fragiles, elle tenta de forcer le destin, de poursuivre ses rêves, parfois  papillon se brûlant les ailes, parfois petit bélier affrontant des séismes. Mais aussi petite Poucette semant suffisamment de cailloux pour permettre à ceux qui en avaient la curiosité et la sensibilité de trouver le chemin de ses secrets.

Elle a appris sur le tas,  tant bien que mal, son rôle de parent auquel l’orphelinat ne l’avait pas préparée, épaulée par sa grande sœur, sa presque mère, qui fut aussi parfois la nôtre. Nous fûmes sans doute, à son corps défendant, la grande histoire de sa vie et ce n’est pas un hasard si les derniers mots que nous avons cru reconnaître, il y a quelques jours furent « mes gamins, mes gamins ».
Si l’expression de la tendresse ne faisait pas partie de son répertoire, sauf, et jusqu’au bout, pour son petit dernier,  je sais qu’elle était fière de nous. Elle répétait par exemple à ses amis que deux de ses enfants exerçaient des professions libérales, ce qui effectivement n’était pas gagné au départ… Elle comptabilisait aussi ses petits-enfants, puis ses arrière-petits-enfants, jalousant ses amis qui avaient de l’avance sur elle.
Je n’oublie pas celui qui a partagé sa vie quelques 5 petites années, mais dont elle a porté le nom pendant plus de 30 ans, et qu’elle appelait Dédé. C’est sans nul doute l’homme qui lui a apporté le plus de tendresse et de sérénité. Là encore, la maladie fit disparaitre bien trop tôt cet homme si gentil.

Je l’ai dit, Maman était la dernière de sa génération. Sa disparition nous oblige : il n’ y a plus personne pour nous raconter les anecdotes familiales comme celles que j’ai rapportées ici. Mais chacun de vous, sur 3 générations, est désormais porteur de ces petites tranches de vie : nous ses enfants, mais aussi ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants afin qu’elle continue à vivre un peu à travers nous.

Maman était absolument convaincue qu’elle allait retrouver tous ceux qu’elle aimait : Sylviane sa sœur bien-aimée, ses frères Georges et Bernard, Pépère, ses fils Christian et Jacques, ses petites-filles Elsa et Céline …. « ce sera une belle fête » m’avait-elle dit et elle s’en réjouissait.

Alors, qu’il en soit ainsi.

 

Ecrit et dit par Odile V. le 16 décembre 2025
Semur en Auxois

 

Musiques :
- Nocturne de Chopin

- Edith Piaf « Padam Padam »

- Les Compagnons de la chanson « Sous le ciel de Paris »

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