samedi 21 avril 2012

Cerisiers - La photo de la semaine


C'est un petit village icaunais, à l'origine d'une partie du titre de mon blog, niché au coeur de la forêt d'Othe. C'est le village d'origine de mon père et de tous mes ancêtres porteurs du même nom que lui, que moi. C'est aussi sa dernière demeure. J'y suis allée hier pour consolider quelques branches familiales, rompues par les vents force 10 de la vie. Pour réparer ce qui a été cassé quelques dizaines d'années plus tôt. 




Le village, dans les années 40


 La promenade derrière l'église, celle que j'ai photographiée plus haut.


Vers 1935.

Ces photos cerisiquoises pour répondre à "la photo de la semaine" d'Amartia.

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"Le brouillard dans lequel Lucile était entrée dura près de dix ans. [...] Je crois qu'après coup, lorsque Lucile en est sortie, ces dix années constituèrent pour elle un seul bloc, sans entaille et sans relief, dont elle ne pouvait distinguer les différentes périodes, un seul bloc dont elle n'avait gardé qu'un souvenir douloureux, empesé, uniformément opaque, bien qu'elle ait connu au cours de cette période deux nouvelles phases maniaques. [...] En peu de temps, quelque chose s'organisa qui conduisit Lucile dans un pavillon de l'hôpital Sainte-Anne où elle passa plusieurs semaines. Lors des visites que je fus bientôt autorisée à lui rendre, en marge de la cité et pourtant en son sein même (car Sainte-Anne est une véritable ville dans la ville), je découvris une forme de misère et d'abandon dont j'ignorais l'existence. Au détour d'une lecture, je m'étais interrogée sur le sens exact du mot déréliction , l'avais cherché dans le dictionnaire. L'illustration m'en était donnée. Ici, des femmes et des hommes se traînaient dans des couloirs surchauffés, passaient des journées entières devant un téléviseur mal réglé, se balançaient sur des chaises ou se réfugiaient sous des couvertures qui n'avaient pas grand-chose à envier à celles des prisons. Certains étaient là depuis des années, sans perspective d'un ailleurs, parce qu'ils constituaient un danger pour eux-mêmes ou pour les autres, parce qu'il n'y avait pas d'autre endroit où les mettre, parce que leur famille avait renoncé depuis longtemps. Au retour de ces visites, hantée par ces atmosphères, j'écrivais les portes refermées derrière moi, les trousseaux de clés qui tintent, les malades qui errent dans les couloirs, le bruit des transistors, cette femme qui répétait "Mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonnée", cet homme qui demandait une cigarette à quiconque pénétrait dans son champ de vision, jusqu'à dix fois de suite, ces corps mécaniques, désarticulés, ces chairs amollies par l'inactivité et l'ennui, ces regards fixes, ces pas traînants, ces êtres que rien ne semblait pouvoir sortir de là et que les médicaments empêchaient de hurler."
Delphine de Vigan, Rien ne s'oppose à la nuit.




25 commentaires:

  1. Photos bien émouvantes, Odile !
    J'aime bien ta phrase, si vraie en ce qui me concerne aussi :
    "... pour consolider quelques branches familiales, rompues par les vents force 10 de la vie ; pour réparer ce qui a été cassé quelques dizaines d'années plus tôt."
    Je t'embrasse.

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    1. Il faut être solide, n'est-ce-pas Norma, pour lutter contre ces vents-là ? Et pour tenter de réparer, aussi, quelquefois ça marche ! Je t'embrasse moi aussi.

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  2. J'aime goûter aux Cerisiers les fruits de la mémoire, ils ont un p'tit goût sucré salé, le goût de la douceur et des larmes. Ils ont un goût d'enfance qui fait écho. Bises Odile.

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    1. Ah Gloria, il faut que je parle de l'enfance, quelques larmes sous le clavier, pour que tu réapparaisses sur la toile ;-)) Ce qui a fait écho en moi, c'est aussi la lecture de ce livre de Delphine de Vigan. J'en avais entendu parler comme un récit d'enfance poignant. Je ne m'attendais pas à ce qu'il résonne d'autant de points communs.
      Le retour au village des origines a été apaisant. Bises.

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  3. Avez-vous réussi vos «réparations»? Pas toujours évident, je l'avoue...

    Il est toujours émouvant de voir l'évolution des lieux que l'on a connus sur plusieurs générations, ce qui est aussi le cas de ma famille dans la paroisse que j'habite encore pour quelques années probablement.

    Bonne semaine à vous

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    1. Oui Marie-Josée, je pense qu'on peut le dire. Il y avait longtemps que j'y pensais, et les années passant, je me disais qu'un jour,de plus en plus proche, ce ne serait plus possible... et je m'en serais beaucoup voulu de ne pas avoir essayé. ça correspond aussi à mon caractère, de comprendre comment les choses se sont passées, avoir un point de vue pluriel, plutôt qu'un seul "son de cloche".

      On peut retrouver, dans ce village comme dans bien d'autres, les traces des temps anciens, et le cadre de vie de nos ancêtres. C'est beaucoup moins le cas dans les villes, il me semble.
      Bonne semaine à vous également.

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  4. Bonsoir Odile. J'aime beaucoup ce que tu as écrit pour accompagner ces photos... Tes mots sont forts et pudiques à la fois.... Le temps passe et la vie sait parfois être bien cruelle et effacer les traces de certaines tempêtes n'est pas toujours facile. Merci d 'avoir partagé ce moment d'émotion avec nous.
    Bises à toi et bon week-end.

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    1. Merci à toi Oxygène, de ta lecture et de ta sagesse. Bonne semaine à toi, entourée de tous les tiens ;-)

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  5. Oui moment d'émotion et si je te disais que cet extrait ne m'étonne pas dans ce billet, d'ailleurs en lisant ce livre j'ai pensé à toi et à la conversation que nous avions eu dans ce beau jardin normand...
    Le retour ou le chemin inverse est parfois salutaire...
    Bon dimanche à toi. Bises

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    1. Ce que tu écris me touche particulièrement Martine. Je ne m'attendais pas, comme je l'ai écrit plus haut, à prendre ce livre "en plein coeur" comme ça. Trop de similitudes, même maladie, mêmes expériences d'enfant, mêmes lieux décrits de la même manière (que j'ai évoqués sur ce blog d'ailleurs).. J'ai eu besoin d'un peu plus de légèreté dans mes lectures, après ;-)) Et cette rencontre sur les terres d'origine aussi a été salutaire.
      Je t'embrasse, bonne semaine.

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  6. Une photo recomposée pour un moment personnel, qui je l'espère, aura su apaiser les anciennes bourrasques, comme tu le dis si bien.

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    1. Oui Amartia, la tempête s'apaise, peu à peu... Bonne semaine à toi.

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  7. Merci de ce partage émouvant, je t'espère un peu plus légère après cette tempête ...
    Bonne semaine Odile
    Bises

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  8. Oui oui Brigitte, ça va bien, ne t'en fais pas ;-) D'autant mieux que cette question me taraudait depuis de nombreuses années, sans oser sauter le pas... Du temps perdu en fait. Mais j'y suis arrivée, rien de miraculeux, ça ne va changer la vie de personne, mais je l'ai fait et j'en suis contente.

    La "tempête" et ses conséquences sont en moi, il faut vivre avec. D'autres qui ont vécu les mêmes choses ne l'exprimeraient pas de la même manière.... ou pas du tout,le plus souvent. D'autres encore, témoins tout autant que moi, n'en gardent pas les mêmes traces. Chacun fait comme il peut avec ce qu'il est. Et j'éprouve le besoin, de temps en temps, d'en parler ici, puisque c'est "mon domaine", Les Cerisiers de l'Aube :-)

    Je vous remercie tous de m'y lire.
    Bonne journée à vous.

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    1. Voilà c'est tout à fait cela, chacun fait comme il peut avec ce qu'il a vécu et son ressenti .Je sais très bien que ce n'est pas facile mais de savoir que tu as franchi juste un pas rien que pour toi (et qu'en fait tu devais en repousser le moment.)C'est fait et même si cela ne change pas la face du monde, tu y es arrivée et tu partages .
      Alors merci rien que pour ça
      A plus et bises

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  9. Les souvenirs du village où l'on a vécu peuvent évoquer de la tristesse ou de la joie. Je n'éprouve que du plaisir dans le mien. Chaque endroit est synonyme de rires et de sourires. Je connais un endroit, près d'un bois, où l'on cueillait des tiges couvertes de fleurs odorantes. Et l'on tressait ces tiges pour s'en faire des voiles de mariées :-)) Elles croissent encore...
    Essaie de retrouver ces moments là Odile, tes souvenirs seront moins douloureux.
    GROS BISOUS et Belle journée.

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    1. Merci chère Marité de tes conseils très sages. Plus que les lieux, ce sont les gens, qui dans certaines histoires, sont porteurs de joie ou de tristesse. Je garde des souvenirs d'une infinie tendresse de mes vacances d'enfant, en Bretagne par exemple, ou à Troyes, chez mon oncle et ma tante. Je l'ai raconté, ailleurs sur le blog. Avec ma soeur, on jouait à la marchande avec les feuilles du lilas, sur un banc du jardin donc je garde le souvenir précis (même si je crois bien que celui-là n'a jamais été photographié !). Bises à toi et bonne fin de semaine (ça approche, hein ;-))

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  10. J'aime beaucoup ces petits villages authentiques... hélas, on n'en voit plus que très rarement... Quant à Delphine de Vigan, pas encore lue mais je n'ai entendu que de bonnes critiques!

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    1. Merci Marc de votre passage, et bienvenue aux Cerisiers de l'Aube. Les petits villages ont souvent été désertés entre les années 50 et 70... Certains commencent tout juste à se repeupler et les écoles,parfois, peuvent rouvrir. Quant à savoir s'ils gardent leur authenticité, c'est parfois bien difficile à réaliser sur le terrain. Je crois quand même que tant les habitants que les municipalités tentent désormais de préserver le caractère d'un village et son histoire (ne serait-ce, de manière très prosaïque,que parce que ça intervient aussi dans le tourisme et l'attrait que peut avoir le village).
      Oui les critiques sont bonnes pour l'ouvrage de Delphine de Vigan, à juste titre il me semble.
      Bonne fin de soirée.

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  11. A te lire au fil des pages de ton blog depuis longtemps déjà, je ne peux être qu'heureuse pour toi de te voir avancer dans cette quête qui est la tienne même
    si c'est douloureux.
    Merci pour ce partage. J'ai beaucoup aimé ce que tu as écrit ainsi que l'extrait
    du texte de Delphine de Vigan que je ne connaissais pas.
    Je t'embrasse,

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  12. Merci adorable Annick de ton passage et de tes mots si chaleureux, comme toujours. Ce n'est pas vraiment que ce soit douloureux, ou alors la "douleur" est là et je n'y pense pas spécialement, elle existe c'est tout, elle me constitue aussi ; simplement, j'ai décidé il y a quelques années déjà de ne plus la taire, pas plus que je ne souhaite taire ce qui a fait cette histoire, mon histoire et celle d'une partie de ma famille. C'est une façon pour moi de lever le tabou, d'effacer la honte.

    D'une certaine façon, je me situe dans la même veine que Delphine de Vigan, dont j'ignorais absolument, avant d'avoir lu ce livre, quelle était son histoire familiale. A un moment, il devient indispensable de l'écrire.C'est aussi simple que ça.
    Je t'embrasse moi aussi Annick.

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  13. Je viens de lire ton texte, visionner tes photos, lire le passage de Delphine de Vigan et je voudrais avoir assez de mots ou des mots assez forts pour dire en quelques lignes tout ce que cela fait ressurgir chez moi, en moi (famille brisée, laminée, mais pas entre mes enfants et moi-même j'entends bien). Bien entendu, ils (ces mots) ne viennent pas. Ils n'existent pas sans doute. Je passe... je m'efface... je voulais juste te laisser une petite trace de mon passage et te souhaiter une belle semaine. Gros bisous Odile. Marie

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    1. Je te remercie Marie, de ton passage, et de tes mots à toi. Ce que nous pouvons construire avec nos propres enfants est une grande richesse, je suis bien d'accord avec toi.
      Je t'embrasse et te souhaite une bonne semaine.

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  14. Les racines ... toujours avec un peu de nostalgie. Mais quelle sentiment de sécurité .

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    1. Ce qui est bien Gine, avec la généalogie, c'est que même si nos "racines" les plus proches présentent des faiblesses, ou sont blessées, on peut s'appuyer sur d'autres racines, plus anciennes, pour retrouver un peu de solidité.
      Bonne semaine !

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