C'est officiel, Frédéric Maget, le président de la Société des Amis de Colette l'a annoncé : la maison de Saint Sauveur en Puisaye est sauvée. Oui je sais bien, certains d'entre vous l'ont déjà lu un peu partout, et m'en ont même fait part en privé, ce dont je les remercie. Mais l'annonce ministérielle a été faite avant même la signature du compromis de vente, à mon sens un peu prématurément (vous savez "il ne faut jamais vendre la peau de l'ours...") et au risque de compromettre... le compromis ! C'est l'impression que j'ai eue en tout cas, qui est peut-être totalement fausse, parce qu'il n'y a pas pire stratège que moi...
L'année 2012 sera, à n'en pas douter, une année exceptionnelle pour les Amis de Colette... On nous avait promis il y a peu une Assemblée Générale DANS la maison (et pas seulement dans le jardin, ce qui était déjà un privilège) ! Je m'en réjouis à l'avance. Pour autant, le travail évidemment n'est pas terminé, puisque tout reste à faire : la remise en état des locaux et des jardins, afin d'accueillir le public et les chercheurs. C'est pourquoi bien sûr la mobilisation se poursuit, à commencer par le dîner d'exception qui aura lieu le 30 septembre au Château du Clos de Vougeot... pour les mécènes éventuels ;-).
Colette en son jardin
"O géraniums, ô digitales… Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumée au long de la terrasse, c'est de votre reflet que ma joue d'enfant reçue un don vermeil. Car « Sido » aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix-de-Malte, des hortensias et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge, encore qu'elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou de veau frais... A contre-cœur, elle faisait parte avec l'Est : « Je m'arrange avec ..lui, » disait-elle . Mais elle demeurait pleine de suspicion et surveillait, entre tous les cardinaux et collatéraux, ce point glacé, traître, aux jeux meurtriers. Elle lui confiait des bulbes de muguet, quelques bégonias, et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules.
Hors une corne de terre, hors un bosquet de lauriers-cerises dominés par un junko-biloba - je donnais ses feuilles, en forme de raie, à mes camarades d'école, qui les séchaient entre les pages de l'atlas - tout le chaud jardin se nourrissait d'une lumière jaune, à tremblements rouges et violets mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet dépendaient, dépendent encore d'un sentimental bonheur ou d'un éblouissement optique. Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands chapeaux, étés presque sans nuits... Car j'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en récompense: J'obtenais qu'elle m'éveillât à trois heures et demie, et je m'en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues.
A trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par mon poids baignait d'abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps… J'allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C'est sur ce chemin, c'est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d'un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion…
Ma mère me laissait partir, après m'avoir nommée " Beauté, Joyau-tout-en-or "; elle regardait courir et décroître - sur la pente son oeuvre - " chef-d'ceuvre ", disait-elle. J'étais peut-être jolie ; ma mère et mes portraits de ce temp-là ne sont pas toujours d'accord... Je l'étais à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu'à mon retour, et de ma supériorité d'enfant éveillée sur les autres enfants endormis.
Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d'avoir mangé mon saoul, pas avant d'avoir dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l'eau de deux sources perdues, que je révérais L'une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L'autre source, presque invisible,, froissait l'herbe comme un serpent, s'étalait secrète .au centre d'un pré où des narcisses, fleuris en rende, attestaient seuls sa présence. La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe... Rien qu'à parler d'elles je souhaite que leur saveur m'emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j'emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire..."
Colette (Sido)
Lors de l'assemblée générale de 2010, nous avions eu la chance d'entendre ce texte lu, dans le "jardin du haut", par Samia Bordji, responsable du Centre d'Etudes Colette et des expositions au Musée Colette (derrière elle sur cette photo, Foulques de Jouvenel). Samia n'interprète pas les textes, elle les vit. Les émotions affleurent... jusqu'aux larmes parfois.
Quel bonheur de relire Colette en son jardin ...
RépondreSupprimerC'est beau ... je redécouvre ce texte lu il y a tellement longtemps ...
RépondreSupprimerMerci chère Odile, ta passion pour Colette a fait une heureuse ce soir : lire cette description est un pur bonheur.
Je t'embrasse
Comme vos deux précédentes lectrices j'ai beaucoup aimé ce texte, quelle langue!
RépondreSupprimer"Car j'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en récompense"... J'aime !
RépondreSupprimerBonne soirée !
Cette gorgée de littérature est un pur bonheur. Merci Odile de nous avoir donné le plaisir de cette lecture (ou relecture).
RépondreSupprimerBisous à toi !
Bien d'accord avec vous toutes, j'ai ajouté une photo prise dans le Jardin du Haut de la maison de Saint Sauveur. Parce que ce texte-là, j'ai eu la grande chance de l'entendre, lu par Samia Bordji. Un très grand naturel, des textes qu'elle connait par coeur, beaucoup d'émotion. Je me souviens en avoir eu les larmes aux yeux. La beauté du texte, et la beauté de "l'interprétation".
RépondreSupprimerBeaucoup d'émotion dans ton billet, Odile, un bonheur dans ce petit matin d'automne !
RépondreSupprimerJe t'embrasse.
Norma
Beaucoup d'émotions et de bonheur ...
RépondreSupprimerBonne journée Odile et merci
Merci Odile pour cette annonce heureuse, et aussi ce texte qui procure beaucoup d'émotion.
RépondreSupprimerBISOUS.
Bon j'adore mais au bout d'un moment i' faut qu'ça bouge...sinon j'ai envie de faire la sieste ;) Bisou
RépondreSupprimerMais oui Norma, c'est déjà l'automne... La saison des couleurs, des rousseurs, des douceurs ...:-)Belle soirée à toi.
RépondreSupprimerVous auriez dû voir, Brigitte et Marité, l'émotion palpable sur le visage et dans les mains de notre interprète. J'en ai encore la chair de poule quand je la vois en photo et... nous étions plusieurs à sentir nos yeux s'embuer. Bonne soirée à vous.
RépondreSupprimerHeureuse de te revoir ici, Chic. Je me doute bien que tu ne dois pas être un grand fan de Colette. Si tu veux que ça bouge, ils vont avoir besoin d'un coup de main pour retaper la maison ;-)Et je suis sûre que le photographe que tu es trouverait sans peine des sujets passionnants à Saint Sauveur en Puisaye. Bonne soirée, Chic.
RépondreSupprimerQuel joli texte Odile. Et quelle bonne nouvelle, pour toi et pour tous ceux et celles qui attachent tant de prix à cette maison de Colette. Je me réjouis de ta joie. Et je partage ton émotion à la lecture du texte de Colette, si finement écrit, dans un style merveilleusement raffiné et frais, de la fraicheur de son éternelle jeunesse de coeur et sa candeur d'enfant qu'elle était alors.
RépondreSupprimerGros bisous à toi. Oui (je t'ai répondu mais je le remets ici), Velle est bien à côté de Tonnoy. J'ai fait de merveilleuses balades sur les bords de la Moselle, tout comme à Flavigny que tu connais si bien. Belle soirée. Marie
Ah Odile, sais-tu que j'ai pensé à toi quand j'ai entendu la nouvelle à la radio !! dire si on se connait par les blogs... et voilà ton article qui vient confirmer que tu as été sensible à la nouvell
RépondreSupprimerTu as tout à fait raison, Marie, l'écriture de Colette est raffinée, inimitable ! Tu sais, je connais Flavigny parce que j'y ai travaillé (pas très longtemps) mais je connais mieux Tonnoy où j'ai vécu presque 5 ans. En dehors du fait que les commerces ont tous fermé ou presque, ça n'a pas trop changé en... 23 ans ! Bises à toi, la nancéienne ;-)
RépondreSupprimerC'est gentil, Michelaise. Eh bien moi aussi j'ai pensé à toi, dans un tout autre domaine. Je me suis inscrite pour un stage, fin avril, qui aura lieu à l'Ile d'Aix. C'est un peu ton secteur, je crois. J'ai vu ça sur la carte, parce que je ne connaissais pas du tout cette région.
RépondreSupprimerBon dimanche !